Monsieur Malbrunot,
Cher Georges,
Il y a deux jours, très certainement touché par l’égrégore élyséenne ou ce qui reste des ors du Quai d’Orsay, vous tweetiez à l’occasion de la conférence des ambassadeurs que le « moral des diplomates (était) en hausse », que « de nombreux diplomates, en particuliers des jeunes, (donnaient) l’impression de se sentir plus à l’aise avec leur ministre » et que c’était là « enfin une bonne nouvelle pour une maison depuis un certain temps en souffrance ».
Lectrice attentive de vos articles et travaux, la CGT Affaires étrangères souhaite revenir sur cette assertion et compléter le tableau.
Nous relevons déjà que vous n’évoquez que les « diplomates », donc dans notre sociologie les cadres « A » du ministère des Affaires étrangères, cette armée mexicaine (il y a au MEAE +/- 1.800 cadres A pour 1.000 cadres B et 2.500 agents C) très variée si l’on creuse un peu.
Si l’on parle des personnels relevant de la haute Fonction publique, ceux qui ont été le cœur d’une réforme qui a fait grand bruit et ne visait qu’à satisfaire une lubie présidentielle, on peut raisonnablement vous rejoindre : tout va bien, tout va mieux pour des agents qui ont reçu des ponts d’or afin qu’ils optent pour le corps des Administrateurs de l’État. Juste un chiffre, à la fois « café du commerce » et symbolique : plusieurs membres de la haute hiérarchie ont reçu en juin dernier une prime d’été (« CIA » dans notre jargon) équivalente à… un an de salaire d’un agent C ! Avec de tels cadeaux et avec un avancement taillé sur mesure, un esprit chagrin serait presque fondé à parler de corruption systémique.
Si l’on s’intéresse, pour « descendre » les marches, aux cadres intermédiaires, essentiellement secrétaires des Affaires étrangères, le tableau se teinte déjà. L’embouteillage à l’étage supérieur renforce le plafond de verre et, s’ils ont cru un temps au miroir aux alouettes d’une disruption transgressive, ils déchantent déjà au quotidien : entre commandes erratiques, champs d’actions flous, renoncement à nos principes et ligne politique résolument atlantiste, ils en sont réduits à attendre les éléments de langage et suivre l’évolution des émojis de l’#agendatransfo sur LinkedIn pour comprendre quelle sera la tendance de la semaine prochaine. Ne parlons même pas des contractuels, qui forment la majorité des recrutements aujourd’hui et à qui on indique la porte de sortie à peine l’entrée franchie.
En suivant la chaine hiérarchique, l’observateur avisé découvrira deux corps de catégorie B (les secrétaires de chancellerie –consuls-adjoints, secrétaires généraux d’ambassade– et les secrétaires des services d’information et de communication) qui sont les charnières de nombre de nos postes diplomatiques et consulaires et sont frappés par le doute : missions multipliées, astreinte quasi-permanentes, binômages ou trinômages impossibles, moyens diminués, perspectives d’évolution fermées. Ce n’est clairement pas un hasard si un nombre croissant de postes de travail à l’étranger sont désormais pourvus par des missions de renfort en l’absence de candidats.
Un regard vers les agents de catégorie C alourdit encore le navire : rémunérations et conditions d’expatriation dégradées, sur-responsabilités (sans avoir le salaire qui va avec) et injonctions contradictoires les mettent dans l’impossibilité d’accomplir leur devoir de manière satisfaisante (un chiffre, encore, toujours entre le banal et le symbolique : le délai de transcription à Nantes d’un acte d’état-civil étranger est actuellement de… 8 mois et s’accroit sous l’influence des nombreuses interventions d’élus qui remontent d’autres dossiers sur le haut de la pile). Les burn-outs se multiplient, les actes de mauvais management aussi… dans l’indifférence d’une hiérarchie dont on ne sait si elle est aveugle, consciente ou complice de l’effondrement et de la destruction du service public.
Enfin, nos collègues et camarades de recrutement local qui sont les piliers de l’ensemble de nos postes à l’étranger (50% de l’effectif du MEAE) : ce sont eux qui accueillent les « diplomates au moral qui remonte » objets de votre tweet ; ce sont eux qui les conduisent, effectuent leurs démarches de détaxes, assurent l’intendance et parfois même traduisent leurs interventions. Ce sont eux qui suivent au quotidien les dossiers dont ensuite l’on s’enorgueillit. Ils n’ont pourtant, au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, pas encore de statut unique, pas de protection sociale standardisée, ils sont ballotés entre droit local et droit français parfois au bon vouloir de chefs de poste encore bien coloniaux. Ils étaient, jusqu’à décembre dernier, et c’est une victoire de notre liste d’Union avec Solidaires et la FSU, exclus des plans de sécurité des emprises françaises et demeuraient seuls derrière en cas de crise.
Voilà en quelques lignes un message de rabat-joies et d’empêcheurs de cocktailiser en rond mais l’on ne se refait pas… Nous sommes bien-sûr à votre entière disposition si l’envers (ou plutôt la base) du décor et le moral des étages inférieurs vous intéresse.
Très sincèrement,
La CGT-MAE